Assailli par des chimères indomptées,
mon esprit tressaille et chavire.
Un son, un mot, un visage, une couleur,
de fugaces souvenirs profondément enfouis jaillissent de ma mémoire.
Des fils ténus se nouent et se dénouent.
Encore consciente, je glisse vers l’inexorable oubli.
De toutes parts, mes souvenirs fuient.
Te souviendras-tu de qui j’étais, si je ne suis plus.
Dans ma réflexion sur la personne, le sujet de la perte de mémoire, voire d'identité s’est imposé de lui-même. Cette œuvre aborde avec douceur et respect la maladie d’Alzheimer.
Au fil de nos souvenirs, se tisse notre vie, et la préciosité de la mémoire contraste avec le drame de l’oubli.
Cette œuvre a une histoire, qui va au-delà d’un simple hasard. Je travaillais discrètement depuis quelques semaines sur le sujet, lorsqu’une amie a partagé le témoignage d'un récent diagnostic.
Avec émotion, j’ai reconnu l’interlocutrice, une femme avec laquelle j’ai travaillé il y a plusieurs années. Qui plus est, cette femme porte des vêtements qui reprennent les teintes et coloris de mon œuvre. À ce moment, ma création en cours a pris un nouveau sens. Je l’ai associée à une personne particulière, laquelle représente toutes celles souffrant de cette terrible maladie.
L’œuvre se divise en deux « hémisphères cérébraux » À gauche, autour de têtes de flèche centrales, les motifs de dents de scie et de flammes, bien ordonnés, symbolisent le côté rationnel de la personne. L’hémisphère droit, siège de la fantaisie, présente des têtes de flèche centrales bordées de flammes et de chevrons. Ici, les fibres empruntent des chemins variés, composent et recomposent le motif.
Parsemés dans l'oeuvre, les ajours symbolisent des moments ponctuels de perte de mémoire. D’abord brefs et isolés, les oublis deviennent de plus en plus nombreux, se multiplient et se prolongent. Parfois quelques souvenirs, tels des perles, favorisent la poursuite du parcours. Mais inexorablement, l’esprit se perd.
Enfin, à cette symbolique s’ajoute un second degré tout aussi important. C'est en travaillant sur une oeuvre liée à la mémoire que j'ai compris ce qui m'animait réellement dans le fléché. Pourquoi, avec patience, passion je travaille à actualiser un savoir-faire inscrit dans notre histoire et notre culture depuis la fin des années 1700.
Je flèche par devoir de mémoire, par profond respect pour les artistes et artisans, femmes et hommes, qui on imaginé et créé un métier d’art exceptionnel. Le fléché ne doit pas sombrer dans l’oubli, il doit vivre dans une actualité renouvelée.
©Catherine Lessard, 2018, Parfois j'oublie
67 cm x 120 cm
Oeuvre fléchée aux motifs de doubles de têtes de flèche; flammes, dents de scie et chevrons
Fibres variées recomposées au rouet : laine Mérinos, alpaga, lin, soie, protéines de lait, coton, cachemire, mohair, soie de bambou, viscose, acrylique, nylon, polyester
Perles de verre parsemées par centaines sur de nombreux fils
Montage sur tige de plexiglass
Photographies : ©Yves Tessier, 2019